Une approche différente de la gestion des risques

Les facteurs humains sont les principaux facteurs explicatifs des accidents industriels.

Le graphique ci-contre mets en évidence que les facteurs humains expliquent près de 75% des incendies survenus en France dans le domaine industriel.

Le comportement d’un être vivant est la partie de l’activité qui se manifeste à un observateur. Quand on observe un animal, on ne peut faire que des hypothèses sur ce qui détermine le comportement constaté. Dans le cas d’un être humain, il est possible d’aller au-delà du comportement, et de s’interroger sur l’organisation de l’activité de la personne et ce qui la détermine.

Les dimensions cognitives, psychiques, sociales, qui sont à l’origine d’un comportement observable constituent une clé pour comprendre les comportements.

Au sein de certaines entreprises ou organisations, lorsque sont évoqués les « comportements », il s’agit de s’attacher principalement aux comportements de conformités aux règles prescrites : le port des Équipements de Protection Individuelle, le respect des procédures, le rangement du poste de travail.

Il s’agit effectivement de comportements pouvant contribuer positivement ou négativement à la sécurité.

Mais attention, cette approche laisse très souvent de côté de nombreux autres comportements qui témoignent d’initiatives des opérateurs par rapport au prescrit : prélever de nombreux indices informels sur le fonctionnement de l’installation, détecter qu’une procédure n’est pas applicable parce qu’un matériel est en travaux, signaler un risque, arrêter une installation dont le fonctionnement est douteux, suggérer des améliorations, pratiquer l’entraide et la vigilance mutuelle entre collègues, transmettre des savoirs-faire de prudence à un nouvel arrivant, s’investir dans les activités liées à la prévention sont des composantes majeures de la sécurité.

La première volonté de cette chaire est d’aider les ingénieurs et les cadres :

• à mieux comprendre les écarts entre la tâche prescrite et l’activité réelle lors de la conduite d’un projet, ces écarts pouvant potentiellement conduire à un accident,

• à mieux comprendre les interactions entre les différents facteurs qui sont en jeu (facteurs individuels, facteurs organisationnels, facteurs culturels, facteurs institutionnels).

• à associer l’analyse des situations potentiellement à risques aux recommandations pour éviter la survenue d’un accident,

• à développer une véritable culture de la sécurité et de la gestion des risques au sein des industries mais également par-delà la sphère professionnelle.

La cause des accidents et les premiers enseignements

Il est extrêmement rare que la cause d’un accident soit unique. La plupart des évènements graves sont la conséquence d’une succession de faits et/ou de comportements qui conduisent à des conséquences majeures. Si l’on retire un élément de la chaîne, l’évènement peut ne pas se produire ou ses conséquences s’en trouver modifiées.

Le « modèle de Reason » proposé par le Professeur James Reason de la Manchester University, Royaume-Uni, aide à comprendre pourquoi les accidents surviennent. Il aide à mettre en relief la complexité des relations de cause à effet.

Ce modèle va au-delà des circonstances immédiates de l’accident et examine minutieusement les conditions préalables à l’événement.

Ce dernier peut également être utile pour définir quelles mesures doivent être prises par qui elles doivent l’être, ce afin d’éviter les accidents futurs ou d’atténuer les effets de ceux arrivant.

James Reason psychologue, est l’un des précurseurs à reconnaître le champ trop limité de sa discipline pour l’investigation des accidents. Il propose le saut paradigmatique de l’erreur humaine en complément de celui de la défaillance organisationnelle.

Il propose une typologie d’erreurs humaines qu’il introduit dans un contexte plus large : le système technique et organisationnel.

Son effort de contextualisation se base sur une idée empruntée à la médecine, à la manière de l’épidémiologie.

Il existe des facteurs pathogènes dans le système qui se combinent et créent un cheminement possible vers l’accident au travers des barrières du système (figure ci-dessous).

Il faut donc partir à la recherche de ces agents pathogènes, et les éliminer.

Cette conception, très intéressante, considère le système socio-technique de manière plus globale que des démarches centrées sur les opérateurs.

Pour qu’un accident ait lieu, il faut que des faiblesses (« trous ») dans les défenses et les barrières de sécurité soient en perspective à chaque niveau de sécurité.

C’est ce qui explique que le plus souvent, plusieurs incidents en chaîne sont nécessaires pour provoquer une catastrophe majeure.

La catastrophe de Fukushima est, à la base, due à un séisme qui va provoquer un tsunami conduisant à noyer certaines parties de la centrale nucléaire nécessaires au refroidissement des réacteurs là où ils étaient positionnés.

Pour éviter un accident, il suffit qu’une seule des « faiblesses » située sur l’un de ces niveaux de sécurité soit supprimée.

Les grandes catastrophes ont toutes des points communs

La plupart des catastrophes industrielles contemporaines (Seveso en 1976, Bhopal en 1984, Tchernobyl en 1986, l’usine AZF en 2001, Buncefield en 2005, Yancheng et Saint Germain-en-Laye en 2019, Beyrouth en 2020, …) partagent plusieurs points communs :

• Une cause unique n’explique pas la catastrophe.

• Des décisions humaines à posteriori perçues comme inadaptées sont au coeur de la catastrophe (par ex., trop grande proximité entre les lieux de stockage et les habitations, modification des règles d’écoulements des cours d’eau).

• La société civile (usagers, consommateurs, citoyens, …) perd confiance.

• La défiance (pour ne pas dire la méfiance) à l’égard des politiques, des industriels et des scientifiques augmente considérablement, générant des comportements individuels ou collectifs qui peuvent conduire à une nouvelle catastrophe.

• Il n’existe pas de véritable coordination entre la gestion technique, médicale, politique, humaine et économique de la catastrophe.

Si ces points communs lient la plupart des catastrophes industrielles, nous les retrouvons également pour les crises sanitaires telles que l’actuelle gestion de la COVID-19.

Le cas de l’automobile

Dans un domaine qui concerne beaucoup d’entre nous, à savoir la conduite automobile, les facteurs humains expliquent environ 77% des accidents (vitesse, fatigue, dépassement inapproprié, médicaments, usage du téléphone portable, …).

Les facteurs liés à un défaut mécanique du véhicule représentent quant à eux environ 4,4% des accidents et les facteurs environnementaux environ 18,8% (chaussée glissante, absence d’éclairage, …).

Le “facteur humain” est donc au coeur des accidents.

 

Si les efforts des constructeurs en faveur de la sécurité des passagers d’un véhicule ne cessent d’augmenter avec succès, le comportement humain reste le principal facteur accidentogène.

 

Or, l’humain est ce qui est le plus complexe à modifier !